Médecin au service de médecine interne et de maladies métaboliques à Allô Docteur- Abidjan, une association de médecins basée à Abidjan, Douala et Yaoundé, Docteur Nanko Tonda Josué nous livre, dans cette interview, de plus amples informations sur le diabète de type 1 et sur la drépanocytose. Pour lui, le patient souffrant de l’une de ces deux (2) maladies ou de ces deux (2) maladies en même temps doit vraiment être très rigoureux en ce qui concerne le suivi relatif à son statut.
Docteur, notre interview portera en priorité sur le diabète de type 1 mais il s’est aussi tenu, le lundi 19 juin 2023 passé, la journée mondiale de la drépanocytose. Tenant compte également de cette journée, d’emblée, que pouvez-nous dire au sujet de ces deux (2) maladies ?
Le diabète de type 1 et la drépanocytose sont deux (2) maladies assez fréquentes dans notre contexte africain. D’emblée, il est important de souligner que ces deux (2) maladies ont quand même un point commun, qui est la génétique bien que les gènes incriminés soient différents pour ces deux maladies. Ces deux (2) maladies sont très distinctes l’une de l’autre de par leurs physiopathologies respectives et de par les signes cliniques qui les caractérisent. Pour parler du diabète de type 1, permettez-moi d’abord de vous rappeler que le diabète, de manière générale, est une condition clinique caractérisée par une hyperglycémie chronique. Lorsqu’on parle d’hyperglycémie chronique, il s’agit d’une augmentation chronique de la quantité de sucre (glucose) dans le sang. Cette augmentation chronique peut aboutir, si rien n’est fait pour la réguler, à des complications. Le diabète de type 1 désigne une forme de diabète rencontrée chez des personnes jeunes. La physiopathologie (mécanisme d’apparition de la maladie) est différente du diabète de type 2 que l’on rencontre chez des personnes un peu plus âgées. Le diabète de type 1 met surtout en jeu des mécanismes auto-immunitaires impliquant des facteurs génétiques et/ou environnementaux qui aboutiront à une atteinte du pancréas (organe produisant de l’insuline) avec pour conséquence un défaut de production d’insuline d’où l’hyperglycémie. Quant à la drépanocytose, il s’agit d’une maladie génétique héréditaire causée par une mutation au niveau d’un gène impliqué dans la fabrication de l’hémoglobine (l’hémoglobine est un constituant des globules rouges, qui permet à ceux-ci de transporter l’oxygène dans l’organisme). Il en résulte la production de globules rouges fragiles, de mauvaise qualité conséquemment à la présence d’une hémoglobine également de mauvaise qualité. Cette condition sera à l’origine de signes et de symptômes de la maladie.
Quel regard portez-vous sur une personne souffrant de ces deux (2) maladies en même temps ?
La présence simultanée de ces deux (2) maladies chez un même patient est assez rare. Cependant, c’est une situation particulière qui nécessite un suivi rigoureux au regard de la gravité des complications que ces deux maladies peuvent engendrer. Les patients souffrant de ces deux pathologies simultanément doivent bénéficier d’un encadrement multiforme impliquant divers acteurs médicaux, familiaux, sociaux…
Que doit faire une personne consciente qu’elle souffre de ces deux (2) maladies en même temps surtout si cette personne veut avoir des enfants ?
Une personne souffrant à la fois du diabète de type 1 et de drépanocytose devrait bénéficier d’un suivi spécialisé. Il doit se faire suivre par plusieurs spécialistes ; médecin généraliste, pédiatre, diabétologue/endocrinologue, hématologue. Et ce, dans l’optique d’assurer un suivi optimal. Aussi, confrontée à pareille situation, si cette personne désire avoir des enfants, il est préférable qu’elle prenne en compte certaines précautions. Plus spécifiquement, elle doit connaître l’électrophorèse de son/sa partenaire. A titre d’illustration, un patient drépanocytaire possède l’hémoglobine de type « SS » qui est à l’origine de sa maladie. Il lui est fortement déconseillé d’avoir des enfants avec un autre drépanocytaire (possédant lui aussi l’hémoglobine « SS ») au risque d’avoir des enfants tous drépanocytaires. Si un(e) drépanocytaire dont l’hémoglobine est « SS » envisage avoir des enfants avec une personne dont l’hémoglobine est de type « AS » (ce type de personnes ne présente pas dans la plupart des cas la maladie), il y a de fortes chances que les enfants issus de leur union puissent être drépanocytaires « SS ». Aux drépanocytaires « SS », il est donc conseillé d’avoir des enfants avec une personne d’hémoglobine « AA ». Pour une femme atteinte de ces 2 maladies, il serait important qu’elle sache au préalable qu’en cas de grossesse, elle devra bénéficier d’un suivi exceptionnel et très rigoureux.
Si elle a déjà des enfants, quelle démarche doit-elle adopter afin de connaitre le statut des ses enfants ? (Diabète de type 1 et/ou drépanocytose)
Dans le cas de la drépanocytose, si le patient a déjà des enfants, il lui sera conseillé de réaliser, pour chaque enfant, une électrophorèse de l’hémoglobine. L’électrophorèse de l’hémoglobine permettra au spécialiste de savoir si l’enfant est d’hémoglobine « AA » (hémoglobine normale) « AS » (porteur sain ne présentant pas dans la plupart des cas les signes de maladie), « SS » (porteur de l’hémoglobine de la drépanocytose). En ce qui concerne le diabète de type 1, même s’il existe des facteurs génétiques souvent incriminés, plusieurs autres facteurs peuvent être impliqués dans son apparition. Il est recommandé aux parents d’être très attentifs aux signes du diabète ou tout autre maladie chez leurs enfants et de ne pas hésiter à les amener en consultation en cas d’apparition de signes suspects.
A votre niveau, quelle est la démarche qui vous permet de déclarer qu’une personne est diabétique de type 1 et/ou drépanocytaire ?
En ce qui concerne le diabète de type 1, nous nous basons sur des signes cliniques et paracliniques retrouvés chez le patient. Le diabète de type 1 se manifestant très souvent avant l’âge de 30 ans, il nous arrive ainsi de recevoir un enfant ou un jeune adulte qui témoigne de signes cardinaux du diabète (polyphagie, polyurie, polydipsie et amaigrissement), c’est-à-dire on constate chez cet enfant ou ce jeune adulte, un amaigrissement en plus d’une envie manifeste de beaucoup manger ou un appétit conservé, une envie fréquente de boire et d’uriner, et s’il présente en plus une glycémie aléatoire (glycémie prise à n’importe quel moment de la journée) supérieure ou égale à 2g/L, il est considéré comme diabétique. Si un enfant ou un jeune adulte présente une glycémie prise à jeun (au moins 8h après un repas) supérieure ou égale à 1,26g/L à au moins 2 reprises, il sera également considéré comme diabétique. A propos de la drépanocytose, les patients se présentent fréquemment avec des signes d’anémie (fatigue, pâleur, essoufflement), des douleurs thoraciques, articulaires, la survenue d’érections permanentes et douloureuses. Nous chercherons à savoir s’il a des parents, des frères et/ou des sœurs drépanocytaires, etc. Nous lui ferons réaliser une électrophorèse de l’hémoglobine. Cet examen, comme je l’ai signifié un peu plus haut, nous permettra de savoir si cette personne est saine, porteuse saine ou drépanocytaire.
A l’issue de cette démarche, comment s’effectue la prise en charge, le traitement et le suivi du patient ?
Pour comprendre la prise en charge relative au diabète de type 1, il faut d’abord revenir sur ce qui passe chez un patient qui en souffre. En effet, l’organisme de ce patient ne parvient plus à produire de l’insuline à cause de plusieurs facteurs qui ont atteint les cellules du pancréas qui produisent l’insuline. L’insuline permet à l’organisme d’utiliser le glucose du sang vers les organes (graisse, muscle, foie). Son absence donc sera à l’origine d’une augmentation de la quantité permanente de la quantité de glucose dans le sang. La prise en charge de ce patient portera essentiellement sur l’administration de l’insuline. Il sera également question de lutter contre certains facteurs qui peuvent générer, en plus du diabète, des complications : lutter contre l’obésité et la sédentarité en s’adonnant à la pratique d’une activité physique régulière, avoir une alimentation équilibrée et saine. Dans le cadre de son suivi, il devra honorer ses rendez-vous de contrôle chez le médecin, réaliser les examens de contrôle dont l’hémoglobine glyquée, à titre d’exemple, que tout diabétique doit réaliser (habituellement tous les trois mois) et qui permet de s’enquérir sur l’équilibre de son diabète.
En ce qui concerne la drépanocytose, comme nous l’avons mentionné plus haut, cette maladie est caractérisée par la présence d’hémoglobine anormale rendant anormaux les globules rouges qui les contiennent. Ces globules rouges peuvent boucher les vaisseaux sanguins entrainant des douleurs, ils sont détruits rapidement entrainant des anémies et d’autres complications. Il sera donc question pour le malade de bien s’hydrater, avoir une alimentation saine, d’éviter les situations qui sont susceptibles d’engendrer un stress au niveau de son organisme, avoir une bonne couverture vaccinale, honorer les rendez-vous de contrôle chez le médecin, honorer les traitements prescrits et surtout contacter le médecin en cas de souci de santé quelconque.
Quel rôle doit jouer la famille et/ou l’entourage du patient à ce niveau ?
L’entourage du patient a un rôle capital à jouer. Il doit soutenir le patient tant sur le plan psychologique que financier. Il doit surtout prendre conscience du coût financier lié à cette situation et des implications psycho-sociales de la maladie pour le patient. Nous demandons à toute personne connaissant des personnes diabétiques/drépanocytaires d’apporter leur soutien, qu’il soit financier (par des dons), matériel, ou même psychologique en étant attentif aux difficultés auxquelles elles font face, leur apporter réconfort par des paroles ou même des actions.
Quel(s) conseil(s) pouvons-nous donner à une personne souffrant du diabète de type 1 et/ou de la drépanocytose ?
Le patient souffrant du diabète de type 1 doit être rigoureux en ce qui concerne son suivi. Il doit être observant quant à la prise de ses médicaments, faire très attention à ce qu’on pourrait lui proposer comme traitement alternatif, car nous observons, de plus en plus, certaines personnes faisant croire qu’elles guérissent cette maladie à partir de plantes médicinales ou autres procédés. Ayant été confronté très fréquemment à ce genre de cas, je pense qu’il serait souhaitable de mettre un accent particulier sur la mise en garde relative à ce genre de pratiques. Des patients bien suivis avec un diabète stable se laissent parfois aller à ce genre de proposition et reviennent malheureusement plus tard avec des complications. Nous demandons aussi aux patients de ne pas hésiter à se rapprocher des associations et autres communautés de personnes souffrant également de cette pathologie. Le patient drépanocytaire peut en faire de même en ce qui concerne son cas. S’il envisage avoir des enfants, il doit s’assurer que son/sa partenaire ne porte pas aussi de gène pouvant occasionner l’engendrement d’enfants atteints de drépanocytose. Pour le patient souffrant des deux (2) pathologies en même temps, il doit être encore plus que vigilant par rapport à son suivi. Toujours se référer uniquement à son médecin traitant en cas de besoin.
Interview réalisée par Cédric KOIVOGUI avec Éric GNOBE