Thalassémies/drépanocytose : Docteur Dodié Diagaunet, Directeur général de l’entreprise Innovative Healthcare Solutions (IHS) : « Quel que soit l’âge, une fois le sujet dépisté, il devra tout simplement être rattaché à un centre de prise en charge pour un meilleur suivi »

Crédit Photo : Docteur Dodié Diagaunet

Diplômé de la Harvard Chan School of Public Health, Docteur Dodié Diagaunet est un spécialiste en santé publique et en informatique de la santé. Directeur général d’Innovative healthcare solutions (Ihs), une entreprise qui accompagne les structures de santé publiques comme privées dans l’amélioration de leur performance à travers l’atteinte de leurs objectifs, il est récipiendaire du prix de l’innovation en santé publique de l’université de Harvard. Ce prix lui a été décerné, en 2023, en raison de la contribution significative de son entreprise à l’amélioration de la disponibilité des produits sanguins en Côte d’Ivoire.  La contribution de l’entreprise Ihs s’est faite dans le cadre de l’accompagnement apporté au Centre national de transfusion sanguine (Cnts) de la Côte d’Ivoire depuis juillet 2021.

Dans cette interview, il réagit sur la prévention de ces deux (2) hémoglobinopathies que sont les thalassémies et la drépanocytose. Le point essentiel de son intervention réside dans le dépistage précoce pour une meilleure prise en charge.

Docteur, de manière globale, au niveau mondial, quel constat pouvez-vous déjà nous faire en ce qui concerne ces deux (2) hémoglobinopathies à savoir les thalassémies et la drépanocytose ?

Ces deux (2) pathologies sont appelées des hémoglobinopathies car elles affectent l’hémoglobine. L’hémoglobine est une protéine riche en fer qui se trouve dans les globules rouges, c’est elle qui donne au sang sa couleur rouge. C’est encore l’hémoglobine qui permet aux globules rouges de transporter l’oxygène vers tous les organes à travers le corps. Les thalassémies sont des maladies héréditaires du sang qui affectent la capacité de production de l’hémoglobine. En cas de thalassémie, votre organisme produit très peu d’hémoglobine de bonne qualité. Par ailleurs, il faut noter qu’il existe deux (2) types de thalassémie : alpha et bêta.  L’hémoglobine est constituée de deux (2) paires de chaines alpha et bêta.  Quand les chaines alpha sont absentes ou défectueuses, on parle d’alpha-thalassémie. Quand les chaines bêta sont absentes ou défectueuses, on parle de bêta-thalassémie. 

La drépanocytose encore appelée anémie falciforme est une maladie génétique qui se caractérise par une anomalie de l’hémoglobine, ce qui entraine une déformation des globules rouges. Cette déformation a pour conséquence une destruction des globules rouges entrainant une anémie. Il existe deux (2) types de drépanocytose:

La drépanocytose homozygote : chacun des parents transmet un gène anormal a l’enfant qui se retrouve avec deux (2) gènes anormaux, c’est la forme sévère. La drépanocytose hétérozygote : seulement un parent transmet un gène anormal a l’enfant. C’est la forme bénigne.  En 2008 déjà, l’Organisation mondiale de la santé (Oms) estimait qu’environ 5% de la population était atteint par une hémoglobinopathie. Selon les estimations, 330 000 enfants atteints d’hémoglobinopathie naissent chaque année dont 83% de cas de drépanocytose et 17% de thalassémie.

Qu’en est-il de ce constat au niveau national?

Les hémoglobinopathies constituent un véritable problème de santé publique en Afrique. En Côte d’Ivoire, la prévalence des hémoglobinopathies est estimée entre 12 et 14% de la population générale. Ce qui représente plus de deux (2) fois la prévalence au niveau mondial. C’est dire que si l’on prend 100 personnes de manière aléatoire en Côte d’Ivoire, on devrait trouver 12 à 14 personnes atteintes d’hémoglobinopathie.

En matière de santé publique, quelle démarche faut-il donc adopter juste après avoir été dépisté de thalassémies ou de la drépanocytose suivant ce constat?

Dans un premier temps, il est important de faire de la prévention afin d’éviter la survenue des hémoglobinopathies. Cette prévention repose sur la sensibilisation des populations et la détection de porteurs sains. Il est important de communiquer suffisamment sur les hémoglobinopathies afin d’améliorer les connaissances des populations et de les amener à adhérer aux tests de dépistage notamment dans le cadre des bilans prénuptiaux qui permettraient de déterminer d’éventuelles incompatibilités génétiques. Dans le cas d’espèce, il s’agira de rechercher des anomalies de l’hémoglobine à travers des tests sanguins.  Le fait de savoir si vous êtes porteur(e) du gène de la drépanocytose est important dans la mesure où vous pouvez avoir un enfant atteint de la drépanocytose si votre partenaire est drépanocytaire ou porteur(e) du gène de la drépanocytose ou encore s’il/elle est porteur(e) d’un autre gène anormal de l’hémoglobine (comme l’hémoglobine C ou Bêta-thalassémie).  Par ailleurs, la prévention prend également en compte le dépistage prénatal qui devrait être vulgarisé du fait de notre contexte épidémiologique. Il consiste à rechercher le gène anormal dans le sang du fœtus. En cas de présence de gêne anormal, les parents peuvent décider d’une interruption médical de la grossesse ou de laisser la grossesse suivre son cours normal.

Dans un second temps, il est important de mettre en place une stratégie nationale pour la détection précoce de ces hémoglobinopathies : elle repose sur le dépistage néonatal. Il est question de dépister, de manière systématique, tous les nouveaux né(e)s. Cette stratégie permet d’identifier les enfants atteints d’hémoglobinopathie pour ainsi améliorer leur suivi médical par une prise en charge médical de qualité. Quel que soit l’âge, une fois le sujet dépisté, il devra tout simplement être rattaché à un centre de prise en charge pour un meilleur suivi. La qualité de la prise en charge déterminera l’espérance de vie des malades atteints d’hémoglobinopathie.  Le dépistage et la prise en charge précoce sont des éléments essentiels à la réduction de la morbidité et de la mortalité liées à ces pathologies chez l’enfant.

Aussi, afin d’améliorer l’accessibilité des soins de santé pour toutes les personnes atteintes d’hémoglobinopathie, il est  crucial de multiplier les centres de prise en charge sur toute l’étendue du territoire national. Il faut les rapprocher des populations, les rendre accessibles aussi bien géographiquement que financièrement. Cela passe par le renforcement de capacités du personnel de santé dans la prise en charge des hémoglobinopathies et par la subvention de la prise en charge de ces pathologies par l’État.

De manière pratique, comment s’effectue le traitement relatif à ces deux (2) hémoglobinopathies surtout en ce qui concerne précisément la transfusion sanguine ?

Des lors que l’on sait qu’on a une hémoglobinopathie, il est important de faire un suivi médical régulier. Le médecin traitant pourra définir un protocole de prise en charge en fonction du niveau de sévérité de la pathologie.  L’un des aspects essentiels de la prise en charge, c’est la correction des anémies répétitives des patient(e)s atteint(e)s d’hémoglobinopathie. En cas d’anémie sévère, le/la patient(e) bénéficie d’une transfusion sanguine sur recommandation du médecin traitant. L’autre aspect de la prise en charge, c’est la prévention des complications d’où la nécessité d’un suivi régulier.

Quelles sont les précautions à prendre par le/la patiente et/ou ses proches surtout si la personne concernée doit absolument bénéficier d’une transfusion sanguine en ce qui concerne son traitement?

La précaution principale à prendre, c’est de veiller à faire un suivi médical régulier des personnes atteintes d’hémoglobinopathies. Ce suivi médical permettra au médecin traitant de déterminer une prise en charge adéquate et personnalisée du/de la patient(e). Le besoin de transfusion sanguine sera décelé au cours du suivi médical. Il faut également avoir le réflexe de se rendre dans le centre de santé le plus proche en cas de crises douloureuses ou de survenance d’autres types d’anomalies.

Propos recueillis par Cédric KOIVOGUI avec Ange Carmelle OBOUE

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